Littérature
Les richesses du français parlé
La Presse
PARIS — Comment se porte le français de France ?
Si, quand on lit la presse magazine française (particulièrement féminine) ou que l’on regarde les publicités et les grilles de programmation des chaînes de télévision, on peut s’étonner de la présence massive de mots anglais, ces emprunts ne reflètent toutefois pas la réalité du français parlé, notamment par les jeunes.
« Il est clair qu’il y a un renouvellement du parler des jeunes », croit Marie-Madeleine Bertucci, sociolinguiste, professeure de sciences du langage à l’Université de Cergy-Pontoise. Ainsi, le français oral s’enrichit des influences venues de l’ensemble de la francophonie (l’expression québécoise « poche » semble ainsi faire son arrivée en France), d’expressions tziganes (ces mots se reconnaissent au suffixe -
: comme « marave » – casser la gueule –, « pourrave » – pourri), de régionalismes français ou encore de l’arabe (le mot « kif » est ainsi entré dans le langage courant).Et l’anglais en France, qui suscite régulièrement des articles effrayés dans les médias québécois, est-il une réelle menace ?
Pour la linguiste Henriette Walter, auteure du livre
, la réponse est plutôt simple.« Non », dit-elle.
Sur un vocabulaire riche de 60 000 mots, seuls 600 ou 700 proviennent de l’anglais, selon elle. Et tout autant de l’italien ou de l’espagnol, le français ayant une longue tradition d’emprunt aux langues étrangères.
De plus, l’anglais doit beaucoup au français – langue parlée par la noblesse britannique pendant près de 300 ans, rappelle-t-elle. On peut citer le mot « table » (qui vient du français et du latin « tabula ») ou « mushroom » (qui vient de l’ancien mot français « mousseron »).
Ainsi, pendant quelques siècles, les mots français ont traversé la Manche, et reviennent, depuis 200 ans, enrichis d’un sens nouveau.
« On ne dit rien contre des mots comme
, la [mouvement de foule lors des événements sportifs], mais on fait une fixation un peu maladroite avec l’anglais. » — Henriette WalterTout emprunt n’est toutefois pas bon à prendre : cette linguiste s’irrite ainsi contre une populaire émission de télévision française,
, que les Français prononcent « foutreuques », ce qui non seulement n’a aucun sens mais entraîne une confusion avec le mot « foutraque ».M
Walter cite aussi le « courriel » québécois, une excellente option de rechange à l’email selon elle.« Les emprunts ne sont pas bons quand ils n’ont pas un sens immédiat. Il faudrait prendre modèle sur les Québécois, quoique le traversier n’a pas traversé l’Atlantique », observe-t-elle.
Le parler « jeune » fait l’objet en France de plusieurs livres, comme tout récemment le
de Stéphane Ribeiro.Loin de faire planer une menace sur le français, ces expressions sont aussi le témoin de changements sociaux. « Je ne dis pas qu’il faut parler n’importe comment, n’importe où. Mais d’un point de vue linguistique, il est important d’être conscient que la langue évolue, se transforme et que ses locuteurs ne sont pas les mêmes qu’il y a 50 ans », croit M
Bertucci.Henriette Walter
Robert Laffont, 350 pages
Marie-Madeleine Bertucci
Éditions INRP, 101 pages
Stéphane Ribeiro
Éditions First, 512 pages